L’évaluation des apprentissages : vers un changement de culture ?
Qu’elle fasse l’objet d’une note ou non, l’évaluation des apprentissages demeure un défi. Elle peut susciter un inconfort chez le personnel enseignant et une certaine méfiance ou insatisfaction du côté de la communauté étudiante. Les pratiques actuelles sont-elles adaptées aux réalités actuelles? Quelles sont les conditions gagnantes? La question est ouverte. Deux membres du corps professoral partagent leur point de vue à ce sujet.
L’arrimage entre les objectifs d’apprentissage et les évaluations
D’emblée, Nathalie Loye, professeure titulaire à la Faculté des sciences de l’éducation et chercheuse dans le domaine de l’évaluation, reconnaît que l’évaluation demeure une compétence pour laquelle le personnel enseignant n’a pas toujours reçu de formation.
Trop souvent, l’évaluation n’est pas alignée dès le départ aux objectifs du cours (ou aux compétences à développer); pourtant, les deux vont de pair. C’est aussi le constat de Joseph Omer Dyer, professeur agrégé à l’École de réadaptation et directeur des programmes de physiothérapie. Par manque de temps, de connaissances ou de ressources, le personnel enseignant se lance ainsi dans la planification des activités sans toujours accorder une attention suffisante aux évaluations arrimées aux objectifs du cours. Les étudiants et étudiantes constatent alors le manque de cohérence entre les objectifs du cours, les activités pédagogiques d’apprentissages et les évaluations. À défaut de quoi on s’expose à des problèmes qui peuvent aller jusqu’à la contestation d’une note.
La transparence et l’authenticité
Un cours, c’est une forme de contrat qui doit être le plus explicite possible. C’est en ces termes que nos deux interlocuteurs décrivent le contexte actuel. La transparence et la clarté des attentes communiquées aux étudiants et étudiantes par le biais du plan de cours permettent d’éviter déception ou incompréhension en précisant bien ce qui va être appris, comment le contenu sera enseigné et surtout comment la réussite sera évaluée. Offrir une rétroaction efficace pendant le parcours est un autre aspect important, comme le souligne Joseph Omer Dyer. C’est un soutien essentiel pour la progression et la réussite. Bref, l’évaluation ne doit surtout pas être considérée tel un couperet à la fin de session, selon Nathalie Loye.
Ils insistent à grands traits sur l’importance de cette transparence par rapport aux critères sur lesquels les étudiants et étudiantes seront évalués. Il faut des descripteurs clairs (c’est-à-dire des descriptions des critères à l’aide d’éléments observables) et un accès aux grilles d’évaluation, idéalement élaborées avec la contribution de collègues dans le programme. Le mot d’ordre : pas de surprise. Dans les programmes professionnels (comme le programme de physiothérapie), les partenaires sur le terrain ainsi que la communauté étudiante participent aussi à l’élaboration des grilles pour l’évaluation des objectifs ou des compétences.
Autre élément important : les tâches demandées lors des évaluations méritent une attention particulière. Il est judicieux pour les étudiants et étudiantes d’y voir des liens avec des contextes qu’ils retrouveront sur le marché de travail. Ce pourrait aussi être en lien avec des enjeux d’actualité ou des pratiques sociales (dans le domaine scolaire ou dans le monde citoyen, par exemple). En parallèle, l’idée de ne pouvoir consulter des sources de références pendant un examen peut paraître incongrue. Dans la réalité, on n’empêchera pas un enseignant ou une enseignante dans une classe de regarder dans des livres ou sur Internet pour soutenir sa pratique. Bref, il faut envisager des conditions d’évaluation les plus authentiques possibles.
Oser des évaluations différentes
Spécialiste dans la recherche en évaluation, Nathalie Loye reconnaît son aisance, voire son plaisir, à expérimenter de nouveaux formats d’évaluation. À titre d’exemple, aux cycles supérieurs, un travail sur l’analyse de données peut faire l’objet d’un travail écrit d’une vingtaine de pages ou d’une présentation orale au choix de l’étudiant ou de l’étudiante, et ce, tout en appliquant la même grille d’évaluation. Dans un autre cas, si la réalisation d’une carte conceptuelle ne convient pas à certaines personnes, l’enseignante offre également le choix de rédiger un travail écrit « classique », mais où les mêmes critères d’évaluation s’appliquent.
Comme enseignante, Nathalie Loye se donne le droit de se tromper. Elle fait un essai et un bilan avec ses classes. Bien sûr, utiliser des évaluations avec une formule moins habituelle s’avère possiblement insécurisant, autant pour les personnes enseignantes que pour les personnes étudiantes. L’important ici est d’augmenter la boîte à outil d’évaluation du corps enseignant afin de favoriser le meilleur alignement possible entre les objectifs et les compétences et leur évaluation.
Le développement de compétences en évaluation
Pour instaurer un changement, il faut développer le sentiment de compétence en matière d’évaluation chez le personnel enseignant. On retrouve aussi des cultures disciplinaires historiquement très centrées sur les savoirs où la formule d’évaluation est basée sur des réponses fermées. Sans hésitation, tant Joseph Omer Dyer que Nathalie Loye considèrent que la réflexion sur l’évaluation au sein des cours et des programmes doit s’inscrire dans une démarche d’équipe, peu importe le programme. Une concertation est nécessaire pour la cohérence dans l’expérience d’apprentissage et d’évaluation de la communauté étudiante. Dans cette optique, il apparaît judicieux de réfléchir collectivement au processus d’évaluation au sein d’un cours ou d’un programme. Cependant, force est d’admettre que ce partage d’idées n’est souvent pas assez encouragé ou formalisé dans le cadre de la conception de la formation. Il serait souhaitable de l’encourager au-delà de quelques discussions de couloir.
La satisfaction de part et d’autre
Pour Joseph Omer Dyer, le respect du « contrat pédagogique » est donc essentiel. L’évaluation ne doit pas donner lieu à des surprises : la note doit refléter le sentiment de compétence ou de compréhension de la matière de la personne étudiante.
Sur une note optimiste, Nathalie Loye se dit cependant convaincue qu’il se passe des choses extraordinaires dans les facultés en matière d’évaluation. Elles sont passées sous silence et mériteraient d’être mises en lumière, ne serait-ce que pour en parler et les partager.
Crédits photo
1. & 2. Groupe interdisciplinaire de recherche sur la cognition et le raisonnement professionnel (GIRCoPRo)